" Tout contribue à faire de la connaissance de Socrate lui-même un thème d'ironie socratique. La seule chose que nous sachions sûrement de lui est que nous ne savons rien." L. Brunschvicg
On ne peut évoquer la philosophie sans faire mention de Socrate. Mais qui est-il réellement? Ce personnage ne nous est connu qu'à travers les témoignages de ses contemporains, en effet Socrate n'a rien écrit.
Platon
suivit l’enseignement de Socrate durant huit ans, de 407, année où il le
rencontra, jusqu’en 399, c’est-à-dire la mort de Socrate, à laquelle il
n’a pas personnellement assisté. Platon fit de Socrate le personnage central
de bon nombre de ses œuvres. Mais, comment discerner dans ces œuvres, ce qui
relève de Socrate lui-même de ce qui relève de Platon ? C’est ainsi
qu’il demeurera toujours une part de mystère quant à ce qui tient de la réalité
et de la mythification faite par Platon.
Xénophon, lui, traversait une rue étroite d’Athènes lorsque Socrate lui barra le
passage et lui demanda : « Où achète-t-on les choses nécessaires
à la vie ? » Xénophon ayant répondu, Socrate poursuivit :
« Où apprend-on à devenir honnête homme ? » Comme Xénophon
ne savait que répondre, Socrate ajouta : « Viens avec moi je te
l’apprendrai » Tout ce que dit Xénophon sur Socrate reste banal et
plat, à tel point que l’on a pu dire avec raison que, si les entretiens de
Socrate avaient été tels que Xénophon nous les a rapportés, il serait
impossible de comprendre que le philosophe ait eu tant d’auditeurs et que la
cité ait jugé son enseignement si dangereux qu’elle n’hésita pas à
prononcer une condamnation à mort.
Aristote, élève de Platon, naquît quatorze ans après la mort de Socrate. Il commence
toujours par exposer le point de vue de ses prédécesseurs avant de donner le
sien ; c’est ainsi qu’il nous a conservé des fragments de philosophes
dont les œuvres ne nous sont pas parvenues et qu’il a pu passer pour le
premier historien de la philosophie.
Dans les Nuées, Aristophane fait une caricature de Socrate et le
présente comme un sophiste athée et blasphémateur, abusant de la crédulité
de ses élèves en les faisant disserter sur les sujets les plus futiles.
Socrate naquit à Athènes vers 470-469, au siècle de Périclès. Sa mère,
Phénarète, était sage-femme et son père, Sophronisque, sculpteur.
Socrate a vraisemblablement d’abord exercé le métier de son père, il aurait
même été un sculpteur de valeur puisqu’on lui attribuait le groupe des Grâces
vêtues qui se trouvaient devant l’Acropole. Marié à Xanthippe, une
femme peu agréable, Socrate est père de trois enfants, Lamproclès,
Sophronisque et Menexène (certains seraient de Xanthippe, et d’autres de
Myrto).
C’est Criton, ami et disciple fidèle, qui aida Socrate à se libérer
de sa profession après la mort de son père pour aller étudier auprès des
sophistes et des philosophes. Plus tard, ce dernier commença à parcourir Athènes,
se rendant aussi bien dans les gymnases, que sur les places publiques, ou dans
les boutiques des artisans, et s’entretenant avec chacun de son métier, de
ses idées, de tout ce qui concernait autrui, comme pour parvenir à une plus
complète connaissance de l’humain.
C’eût été un sophiste comme les autres, un professionnel du savoir et
de la sagesse, s’il n’avait pas eu la modestie de se dire plutôt
" philosophe " c’est-à-dire en quête seulement du savoir, s’il
n’avait eu le désintéressement qui l’écartait des profits et des
honneurs, la rigueur morale personnelle qui lui faisait braver l’opinion
publique.
Socrate n’ouvrit jamais d’école. Il ne prenait pas part aux
affaires de la cité, et se voulait d’une extrême pauvreté, ne faisant pas
payer ses leçons.
-432/429 |
Siège de Potidée, en Chalcidique (guerre de Péloponnèse)Il sauva Alcibiade, son compagnon d’armes, alors que celui-ci, blessé, était
sur le point de tomber aux mains des ennemis. |
-424 |
Bataille de DélionLes troupes athéniennes sont écrasées par les Thébains |
-423 |
Expédition d’Amphipolis |
Mais Socrate ne montra pas seulement son courage dans les péripéties de guerre, il en fit preuve également à l’occasion de plusieurs circonstances de sa vie civique.
-406 |
Aux Arginuses...Les flottes d’Athènes avaient remporté une victoire sur les Lacédémoniens, mais la tempête avait empêché que l’on recueillît les corps, comme la loi athénienne en faisait une obligation sous peine de mort. Les généraux furent tenus pour responsables et traduits devant le tribunal de la prytanie. Ce tribunal était composé de cinquante membres, choisis parmi le conseil des Cinq Cents, qui, pour cinq semaines, exerçaient leur fonction. Le hasard fit que la tribu d’Antiochide, dont Socrate faisait partie, dut exercer ses fonctions à cette époque ; en outre le sort désigna Socrate comme président. Le peuple et les accusateurs voulaient faire condamner les généraux par un seul et unique arrêt, ce qui était contraire à la loi athénienne qui exigeait qu’il y eût un jugement par accusé. Malgré les protestations et les menaces, Socrate demeura inflexible et fit appliquer la loi en exigeant autant de jugements que d’accusés. |
-408 |
Pendant la tyrannie des TrenteIl refusa d’obéir à Critias et à Chariclès, qui voulaient l’envoyer arrêter leur ennemi Léon le Salaminien. Socrate s'indigna des massacres ordonnés par ceux-ci, si bien que Critias (autrefois son élève) et Chariclès lui interdirent de parler aux jeunes gens. Ce dernier, avec son ironie habituelle, demanda alors quel devrait être désormais l’âge minimum de ses interlocuteurs, et voulut savoir s’il lui était possible de demander le prix d’une marchandise à un jeune marchand, ou de répondre à un jeune homme qui désirerait connaître l’adresse de Chariclès. |
"Oui, c’est un fait ;
aujourd’hui je comparais pour la première fois devant un tribunal à l’âge
de soixante-dix ans. " Apologie de Socrate
, Platon
En 399, Socrate fut accusé par l’obscur poète Mélétos, l’orateur Anytos et
le rhéteur Lycon. Anytos semble avoir été l’âme du procès, c’était un
riche tanneur qui représentait les intérêts des commerçants et des « industriels ».
"Socrate
est coupable de mener des recherches inconvenantes sur ce qui se passe sous la
terre et dans le ciel, de faire de l’argument le plus faible l’argument le
plus fort et d’enseigner à d’autres à en faire autant. - Socrate
est coupable de corrompre la jeunesse et de reconnaître non pas les dieux que
la cité reconnaît, mais, au lieu de ceux-là, des divinités nouvelles. "
Apologie de Socrate, Platon
Socrate comparut devant l’Héliée, et, bien que Lysias lui eût préparé un brillant
plaidoyer, il se défendit par un discours plein de noblesse et de fierté :
Loin d’être celui qui corrompt la jeunesse, Socrate est celui qui l’éduque,
loin d’être celui qui ne croit pas aux dieux de la cité et qui en introduit
de nouveaux, Socrate est la conscience des Athéniens ; il rappelle que
Dieu, non l’homme, est la mesure de toute chose.
Devant faire une contre-proposition, Socrate déclara :
"Mais quel traitement convient à un homme pauvre, qui est votre bienfaiteur, et qui a
besoin de loisir pour vous adresser ses recommandations ? Aucun traitement,
Athéniens, ne sied mieux à un tel homme que d’être nourri dans le prytanée. "
Apologie de Socrate, Platon
Après quoi, il fixa sa peine à une petite somme qui représentait toute sa fortune.
Il fut finalement condamné à mort par une très forte majorité, plus pour son
insolence au procès que par conviction réelle de sa culpabilité.
D’ordinaire la sentence était exécutée très rapidement ; mais le lendemain de la
condamnation, partait à Délos le vaisseau sacré qui se rendait chaque année
dans l’île natale d’Apollon pour célébrer l’aide que le dieu avait
apporté à Thésée lorsqu’il était venu à bout du Minotaure ; la loi
voulait qu’aucune exécution n’ait lieu avant le retour du navire. Socrate
resta donc aux enfers pendant trente jours, mais chaque jour il recevait ses
amis et s’entretenait avec eux. Ces derniers avaient préparé un plan d’évasion,
mais Socrate refusa. Que deviendrait-il s’il s’enfuyait après avoir soutenu
sans cesse que " philosopher c’est apprendre à mourir " ?
Le jour de l’exécution, seuls Aristippe, Xénophon et Platon étaient absents.
Saisissant la coupe de ciguë d’une main ferme Socrate but le breuvage mortel
sans hésitation ni dégoût. Ses dernières paroles furent : "Criton,
nous sommes débiteurs d’Asclépios pour un coq ; eh bien ! payez ma
dette, pensez-y " Cela signifierait que Criton devait faire un
sacrifice au dieu de la médecine, pour le remercier d’avoir guéri son âme,
de la maladie d’être unie à un corps.
Le personnage de Socrate n’est-il pas fascinant ? Que dire de cet individu quelque peu
excentrique, mais néanmoins incroyable…
" Sachez-le : qu’on soit
beau ne l’intéresse pas, il méprise cela à un point incroyable, comme aussi
de savoir si l’on est riche ou si l’on possède tel avantage que la plupart
jugent enviable. Pour lui, tous ces biens n’ont aucune valeur, et nous ne
sommes rien à ses yeux je vous l’assure. Il passe toute sa vie à faire le naïf,
à plaisanter avec les gens. Mais quand il est sérieux et que le silène
s’ouvre, je ne sais si quelqu’un a déjà vu les images fascinantes qu’il
contient. » Alcibiade dans le Banquet, Platon
" Ainsi par exemple, un jour de
gel, ce qu’on peut imaginer de pire dans le genre, quand tout le monde évitait
de sortir, ou bien ne sortait qu’emmitouflé de façon étonnante, chaussé,
les pieds enveloppés de feutre ou de peaux d’agneau, Socrate sortait, lui,
dans ces conditions-là, avec le même manteau qu’à l’ordinaire, et
marchait pieds nu sur la glace plus facilement que les autres avec leurs
chaussures. " Alcibiade dans le Banquet, Platon
C’est une habitude qu’il a de se mettre parfois à l’écart, n’importe où, et de rester là, debout. "
Agathon dans le Banquet, Platon
Avec Socrate, mes amis, pas
besoin de malices : tant on lui dira de boire, tant il boira, et il ne sera
pas plus ivre pour autant. " Alcibiade dans le Banquet,
Platon
Le physique n’est pas forcément le reflet de l’âme…
Socrate, on le sait, était fort laid :
chauve, portant la barbe, un nez épaté. Le visage de Socrate n’était
d’ailleurs pas sans scandaliser les Athéniens car pour eux la beauté
physique était le symbole de la beauté intérieure et rien ne semblait
plus incompatible que la laideur de Socrate et sa pureté morale.
Un calme reflet d’une paix intérieure
La colère, l’emportement, la haine sont inconnus de Socrate. Un jour un
contradicteur, à bouts d’arguments, donna un soufflet à Socrate et Socrate répondit
à celui-ci : " Il est fort ennuyeux de ne pas savoir quand il faut
mettre un casque avant de sortir. "
Dans le Banquet de Platon, c’est Alcibiade, compagnon de Socrate, qui fait
l’éloge de Socrate, le comparant à un silène :
"Je déclare donc qu’il est tout pareil à ces silènes qu’on voit exposés dans
les ateliers des sculpteurs, et que les artistes représentent un pipeau ou une
flûte à la main ; si on les ouvre en deux, on voit qu’ils contiennent,
à l’intérieur, des statues des dieux. Je déclare ensuite qu’il a l’air
du satyre Marsyas. Une chose est certaine : de figure, tu es leur pareil,
Socrate : toi-même tu ne le contesteras pas. […] Mais, dira-t-on, tu
n’es pas joueur de flûte ? Si, et bien plus meilleur que Marsyas. Lui,
il se servait d’instruments quand il charmait les hommes par la puissance de
son souffle, et c’est ce qu’on fait encore à présent quand on joue ses
airs sur la flûte. En effet, ce que jouais Olympos, je dis moi que c’était
de Marsyas, qui fut son maître. Et ses airs, qu’ils soient joués par un bon
artiste ou une pauvre joueuse de flûte, sont seuls capables de nous saisir
profondément, et de révéler ceux qui ont besoin des dieux et des initiations,
car ces airs sont divins. Toi, tu diffères de lui sur un seul point : tu
n’as pas besoin d’instruments, et de simples paroles te suffisent pour
produire les mêmes effets. Une chose est sûre :quand nous entendons un
autre orateur, si doué soit-il, tenir d’autres discours, cela n’intéresse
pour ainsi dire personne. Mais quand c’est toi qu’on entend, ou quand un
autre rapporte tes paroles, si médiocre qu’il puisse être lui-même, et
qu’un homme, et qu’un homme, ou une femme ; ou un adolescent
l’entendent, nous sommes frappés au cœur, un trouble s’empare de nous. "
Dans le Ménon de Platon, Ménon compare Socrate à une torpille :
" Socrate,
j’avais entendu dire, avant même de te rencontrer, que tu ne fais rien
d’autre que t’embarrasser toi-même et mettre les autres dans l’embarras.
Et voilà que maintenant, du moins c’est l’impression que tu me donnes, tu
m’ensorcelles, tu me drogues, je suis, c’est bien simple, la proie de tes
enchantements, et me voilà plein d’embarras ! D’ailleurs, tu me fais
totalement l’effet, pour railler aussi un peu, de ressembler au plus haut
point, tant par ton aspect extérieur que par le reste, à une raie torpille, ce
poisson de mer tout aplati. Tu sais bien qu’à chaque fois qu’on
s’approche d’une telle raie et qu’on la touche, on se trouve plongé, à
cause d’elle, dans un état de torpeur ! Or, j’ai à présent
l’impression que tu m’as bel et bien mis dans un tel état. Car c’est
vrai, je suis tout engourdi, dans mon âme comme dans ma bouche, et je ne sais
que te répondre.
Par sa dialectique, il conduisait ses adversaires à se contredire et, par ses
discours, il exhortait les jeunes gens à se tourner vers le bien en éveillant
en eux la conscience morale. Il était célèbre pour l’austérité de ses mœurs,
allant nu-pieds et portant le même manteau par tous les temps, mais, au lieu
d’affecter une sévérité qui aurait rebuté ses auditeurs, il s’exprimait
avec une bonhomie et une sorte d’humour qui lui ralliaient les suffrages de la
jeunesse tout en lui aliénant les conservateurs et les pédants, dont il dévoilait
la pauvreté intellectuelle.
L’école de Socrate est l’Agora, la place publique où se promènent parmi les
marchands, les petites gens, les aristocrates, bavardant avec l’un,
interrogeant l’autre et ne cessant de prendre comme sujet de méditation les
mille et un problèmes de la vie quotidienne. " Je vous répète que ce ne
sont pas les richesses qui donnent la vertu, mais que c’est de la vertu que
proviennent les richesses… "
Chéréphon, l’ami d’enfance de Socrate, interrogea l’oracle de Delphes sur Socrate et
la Pythie lui répondit qu’il n’y avait pas d’homme plus sage, plus libre,
plus juste, plus sensé. S’interrogeant sur la réponse de l’oracle, Socrate
se mit à chercher quelqu’un de plus savant que lui :
" Cet homme, me sembla-t-il,
passait aux yeux de beaucoup de gens et surtout à ses propres yeux pour
quelqu’un qui savait quelque chose, mais ce n’était pas le cas. Et le résultat
fut que je m’attirai son inimité et celle de plusieurs des gens qui
assistaient à la scène. En repartant, je me disais donc à moi-même : «Je
suis plus savant que cet homme-là. En effet, il est à craindre que nous ne
sachions ni l’un ni l’autre rien qui vaille la peine, mais, tandis que,
lui, il s’imagine qu’il sait quelque chose alors qu’il ne sait rien, moi
qui effectivement ne sait rien, je ne vais pas m’imaginer que je sais quelque
chose. En tout cas, j’ai l’impression d’être plus savant que lui en ceci
qui représente peu de chose : je ne m’imagine même pas savoir ce que je
ne sais pas. " Apologie de Socrate, Platon
Comme sa mère, sage femme, Socrate fait accoucher les
esprits. Dans un premier temps, il démolit
les fausses certitudes de qui croit savoir, c’est l’ironie socratique :
Socrate feint de ne rien savoir, cela lui permettant par ses interrogations de
semer le doute dans l’esprit de son interlocuteur. Socrate le rend ainsi
disponible à la recherche.
Mais cette pratique n’est pas sans attiser la haine ses interlocuteurs, qui se
sentent victimes, humiliés en public de surcroît !
" Car personne ne sait ce qu’est la mort, ni même si elle ne se trouve pas être pour l’homme le plus grand des biens, et pourtant les gens la craignent comme s’ils savaient parfaitement qu’il s’agit du plus grand des malheurs. " Apologie de Socrate, Platon
Sourcesl'Apologie de Socrate, Platon
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